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Lison de Caunes – La marqueterie de paille, patrimoine artisanal d’exception

Ce mois-ci, Lisons de Caunes nous partage sa passion pour la restauration et la création en marqueterie de paille.

Parent pauvre de la marqueterie de bois et oubliée dans les années 80, la marqueterie de paille représente désormais un art à part entière, et je m’en réjouis. À l’époque, c’est en parcourant notamment les Puces et autres salles de ventes à la recherche d’objets en marqueterie de paille que j’ai découvert que cette technique était très peu documentée. Au fil du temps, j’ai aussi appris que cet artisanat, qui s’est développé surtout en France aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, était d’une grande richesse. Fleurs, bouquets, feuillages, paysages et saynètes étaient figurés avec un réalisme remarquable, à l’aide de fétus minuscules et de paillettes.

La technique de la marqueterie de paille a peu évolué et reste totalement artisanale : des brins de paille fendus à la main et aplatis à l’aide d’un plioir, de la colle et beaucoup de patience ! La paille que j’utilise est de la paille de seigle, cultivée par un céréalier en Bourgogne. Jean-Luc Rodot expédie dans le monde entier, ses bottes de pailles teintées, à tous les artisans et amateurs, qui travaillent la marqueterie de paille.

Un savoir-faire rare, une histoire de transmission. Dans mes ateliers, j’ai toujours voulu faire connaître cet art au plus grand nombre. J’ai formé ainsi de nombreuses personnes car aucune spécialité n’était proposée dans les écoles. Nommée maître d’art en 1998 j’ai dû transmettre mon savoir-faire à mon élève Valérie Colas des Francs, qui est restée 14 ans à mes côtés. Depuis plusieurs années, j’organise également des stages d’initiation à l’atelier et au campus Mana.

En qui me concerne, la marqueterie de paille est associée à un souvenir d’enfance. Lorsque j’étais petite, je m’installais dans l’atelier de mon grand-père, André Groult, et je le regardais travailler. Pourtant, je me destinais à un tout autre parcours après des études de reliure à l’Union centrale des Arts Décoratifs.

Lorsque je me suis finalement professionnalisée dans la marqueterie de paille quelques années plus tard, je travaillais aussi le parchemin, le galuchat et la coquille d’œuf. J’ai longtemps été la seule spécialiste de ces matières phares de l’Art déco. En vogue dans les années 20, la marqueterie de paille n’est revenue au goût du jour que bien plus tard. J’ai redécouvert ces techniques seule, avec mes outils de relieuse, en décortiquant aussi bien les objets anciens que je chinais aux marchés aux puces que les créations de l’époque Art déco, comme celles de mon grand-père mais aussi de Jean-Michel Frank ou bien de Jean Royère que j’ai pu retrouver chez certains antiquaires. La restauration m’a permis de saisir tous les aspects de mon métier, m’obligeant à expérimenter, à trouver des astuces et, surtout, à habituer mon œil à traquer la moindre malfaçon.

Sauvegarde de tout un patrimoine. La restauration est un travail long et minutieux, le but étant de préserver au maximum les pailles d’origine de l’objet. Je réalise un nettoyage minutieux de l’objet puis remplace les pailles manquantes. J’ai la chance d’avoir un grand stock de pailles anciennes, récupérées dans l’atelier de mon grand-père et accumulées au fil de mes années d’activité, ce qui me permet facilement de trouver les teintes idéales pour rendre invisible mes interventions sur les pièces. Je réalise enfin un travail de patine, destiné à redonner du lustre et de la brillance à l’objet. Il est très difficile pour moi de faire un devis de restauration sans avoir vu l’objet mais il est rare qu’une restauration puisse se faire à moins de 500€.

Après 20 ans passés à restaurer des objets de collection et des meubles Art déco dénichés par des antiquaires, j’ai eu envie de faire autre chose. J’ai vendu ma collection personnelle aux enchères, près de 300 pièces : des boîtes, des coffrets et autres écrins datant des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, réalisés par des bagnards, religieuses, marins…

Mais il m’en reste certaines dans mon atelier que je conserve précieusement.

De la restauration à la création contemporaine. Dans les années 2000, j’ai commencé à travailler sur des projets de plus grande envergure en France et à l’international, en collaborant notamment avec des architectes d’intérieur comme Jacques Grange ou Peter Marino, qui m’ont proposé de réaliser des décors entiers en marqueterie de paille. Des projets privés aux lieux publics, comme la boutique historique de Guerlain avenue des Champs-Élysées, celle de Louis Vuitton place Vendôme, Cartier à travers le monde, des hôtels tels que le Four Seasons à New York et, plus récemment, une suite de l’Hôtel Cheval Blanc à Paris… Les commandes se sont succédé sans jamais s’arrêter. Aujourd’hui, mes ateliers comptent une équipe d’une vingtaine de personnes ; je poursuis mon travail avec passion et goût de la transmission.

Les projets et les commandes de l’atelier sont très variés. Je me consacre personnellement à la création de pièces uniques sous le nom de Lison de Caunes Créations, ainsi qu’aux projets spécifiques de décorateurs et d’architectes qui nécessitent mon expertise.

Je poursuis mon travail avec passion et goût de la transmission.
— Lison de Caunes

Au fil des rencontres et des liens que je tisse avec des artisans et des créateurs, je continue de repousser les limites d’une technique ancienne. J’aime l’associer à des matériaux comme la nacre, la feuille de palladium, ou plus récemment, à la broderie et la plume. Et puis, il y a les formes et les couleurs : la paille offre des possibilités infinies. Au sein de mes ateliers, nous aimons expérimenter, créer de nouveaux motifs et jouer avec les mélanges de couleurs et de matières, tout en répondant aux demandes spécifiques de nos partenaires.

La paille de seigle que j’utilise est un matériau très résistant qui vieillit très bien. Elle est composée naturellement de silice, ce qui lui apporte à la fois résistance et de nombreux reflets qui se patinent avec le temps. Je travaille avec plus de 60 couleurs de paille. Je ne transforme pas la matière, mais m’adapte à elle, choisissant les brins au fur et à mesure avec minutie. Une création qui me tient à cœur est le paravent de mon grand-père. Réalisé en 1937 au pavillon de la Société des artistes décorateurs, il n’a pas été simple à restaurer. J’ai dû décoller la paille des plaques d’amiante et recoller tous les aplats sur du contreplaqué. Je suis, depuis plus de vingt ans, experte en marqueterie de paille et de l’œuvre d’André Groult auprès de l’UFE. Cette familiarité avec la technique de la marqueterie de paille me donne une connaissance approfondie des époques, des styles et des créateurs ayant utilisé la marqueterie de paille.

Un patrimoine à redécouvrir. On peut trouver des objets en marqueterie de paille aux Puces ou dans les vides greniers, à Drouot et même sur internet. Ces objets n’ont pas de réelle valeur marchande, donc restent accessibles. Il n’y a pas de faux en marqueterie de paille car la reproduction d’un coffret XIXe en marqueterie de paille n’est rentable pour personne… Un objet très endommagé demandera de nombreuses heures de travail de restauration, dont le prix dépasse souvent le prix d’achat…


— Lison de Caunes

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