pichet et bassin en opaline

La douce lumière des opalines

Daniel Cagnolati

Au-delà des modes, l’opaline, qui évoque à elle seule un intérieur douillet du XIXe siècle, demeure pleine de charme, au-delà des modes.

Le monde a changé et les collections de vitrine ont souvent disparu. Ce qui n’empêche pas le marché des opalines de se maintenir, grâce notamment à la diversité des pièces. La nature exceptionnellement variée de cette marchandise mérite qu’on s’y attarde, car le terme générique « opaline » (NDLR : entré au dictionnaire en 1829, il s’invente à partir de la tradition vénitienne ancestrale des verres opalins de Venise) réunit des pièces disparates : « Il faut d’abord distinguer les opalines dites Charles X produites sous la Restauration (1815-1830) », explique Roland Dufrenne, expert en arts du feu pour de nombreuses maisons de vente et auteur. « Ce sont des opalines au plomb, soufflées à la canne et non moulées, ornées de décors à la feuille d’or, comme celles, célèbres, de Jean-Baptiste Desvignes, avec des myosotis ou sur le thème des Fables de la Fontaine, l’un de ses plus prisés. »

 Galerie Atena, Vases En Opaline Restauration à Décor Desvignes, en vente sur Antikeo

L’inconvénient de cette production ? Sa fragilité, ce qui explique qu’on en dénombre peu sur le marché et rarement en bon état. En effet, le décor à la feuille d’or ne résiste guère à l’usage et seules les pièces d’apparat ont tenu tête à la morsure du temps. Autre famille d’opalines, les modèles fabriqués à partir de Napoléon III… « Vers 1840, les opalines au plomb sont supplantées par celles de verre. On les recherche alors pour leurs couleurs vives et variées, la nouveauté de leurs riches décors. » Dans l’ensemble, ces pièces ont mieux résisté, car à partir de 1840, elles ont des décors émaillés qui tiennent mieux ou à l’or inclus directement dans la matière. « Cette période voit le règne de la chimie au service des couleurs », relève M. Dufrenne. Louis Clémandot, le directeur de la réputée cristallerie de Clichy, était chimiste de profession.

Opalines de bazar…

On ne peut oublier les opalines dites « de foire » ou « de bazar » fabriquées en série et gagnées dans des loteries. « Ce sont des pièces amusantes », note M. Dufrenne, « mais, en aucun cas, associées à une collection sérieuse ». On peut en acquérir pour mettre une note de fantaisie dans un intérieur… Néanmoins, il existe des amateurs pour ces objets sans prétention : « C’est le triomphe des arts populaires avec des sujets comme des poules sur des nids, des lions, des chevaux déclinés sur des objets usuels comme des porte-allumettes (pyrogènes) ou des beurriers. Par choix, j’en ai rarement sélectionné dans mes ventes. Mais cela ne signifie pas qu’elles ne soient pas intéressantes. Techniquement, il s’agit bien d’opalines, mais les moulages sont industriels, en série, les attaches du moule sont apparentes et l’objet n’est jamais repris et peaufiné, contrairement aux opalines du XIXe siècle. »

Galerie Seblantic, Coupe En Opaline Gorge De Pigeon style Empire, en vente sur Antikeo

La couleur est un élément important de la beauté des opalines, celui qui compte le plus aux yeux des amateurs, car selon leurs nuances et leur transparence, la valeur des pièces varie. Parmi les opalines les plus recherchées, citons celles dites « gorge-de-pigeon », de couleur rosée, légèrement violacée. Ce coloris était obtenu en teignant directement les pièces avec de l’or. Parfois, on glissait un louis d’or dans le cristal, et l’or en s’oxydant prenait cette teinte rougeoyante, toujours légèrement translucide. Quand on y assortit un décor de Desvignes, elles constituent des pièces d’exception. En général, ces objets rares et coûteux étaient réservés aux vitrines d’apparat. La cristallerie de Clichy était réputée en ce domaine.

Le triomphe sous Napoléon III

De manière générale, on remarque que les couleurs de la Restauration sont plutôt pastel, alors que celles de la période Napoléon III s’affirment plus vives. C’est alors le triomphe de certains rouges et d’opalines bleues notamment avec le bleu roi. Les opalines peuvent également être ornées de décors : oiseaux sur la branche, feuillages, fleurs, paysages, motifs « à l’antique », guirlandes, semis d’étoiles, etc. Côté formes, toutes les fantaisies sont permises : du confiturier au nécessaire à couture en forme d’œuf, porté au doigt avec un anneau et une chaîne, au baguier, en passant par le « service de nuit » à la française ou à l’anglaise (ici, le verre se pose sur la carafe et forme couvercle).

Galerie ALEXANDRA ANTIQUES, Service à Eau En Opaline Blanche Laiteuse, Décor Aux Filets Dorés, Fin Du XIX ème, en vente sur Antikeo

Malgré une production en Angleterre et en Bohème, « très inférieure en qualité à la française », les créations hexagonales ont toujours été prisées dans le monde entier, jusqu’en Amérique du Sud. « Il y a une quinzaine d’années, c’est sur le marché de Portobello, à Londres, qu’on trouvait les plus belles opalines françaises ! » sourit M. Dufrenne. La tendance se modifie aujourd’hui puisque le marché national propose de nombreuses pièces, notamment dans les ventes publiques.

Pas de signature

Gageure pour l’expert méticuleux, les opalines ne sont jamais signées : « Par hasard, de temps en temps, sur des pièces Napoléon III, on relève une étiquette de Clichy ou d’opaline Baccarat, mais cette identification est compliquée, car les cristalleries se copiaient entre elles. Reste heureusement la source des catalogues d’exposition, les collections des musées des Arts décoratifs ou de Sèvres. Pour les Napoléon III, on est plus précis que pour les pièces Restauration, car on rencontre des formes caractéristiques comme celles de la cristallerie de Clichy, nettement orientalistes. »

Galerie Seblantic, Baccarat : Grand Flacon En Opaline Jaune, en vente sur Antikeo

« Soyons réaliste, des faux, il y en a », regrette le spécialiste. « On en a vu notamment une grande production dans les années 1950, à Paris, avec de l’opaline savonneuse au plomb montée au cuivre ou au bronze doré par la boutique Cristal et Bronze. Mais ce n’était pas une tromperie. On pouvait se méprendre de bonne foi en voyant ces pièces passer en vente plus tard. » Certaines méprises ne sont pas toujours innocentes : « Dans les années 1980 et 90, il y a eu une production importante de faux fabriquée à Murano, commandée par des marchands qui approvisionnaient le Moyen-Orient et vendaient à Paris et dans le midi. C’était de très belles pièces dans les tons roses, verts et bleus, censées être Napoléon III. À l’époque, j’ai pu remonter la filière très bien organisée. Un jour, dans une succession, j’ai vu 80 % de faux… »

Rassurons toutefois les amateurs, cette affaire a servi d’exemple et le marché s’est assaini. La grande folie des opalines ayant vécu, on peut aujourd’hui sans risque acquérir de belles pièces authentiques. En s’adressant à un expert antiquaire qui saura démêler le vrai du faux.

Où en trouver ?

Sur les brocantes, on découvre de petits objets Napoléon III, des vases, des « verres d’eau » (autre nom du service de nuit) ou des parties de verre d’eau, des flacons, des verres à pied, et bien sûr des opalines de bazar. On n’y rencontre pratiquement pas d’opalines Restauration. Pour en trouver, mieux vaut s’adresser à un antiquaire spécialisé dans le XIXe siècle.

Quels sont les prix ?

– Entre 10 et 20 euros. Des opalines de foire.

– Entre 50 et 100 euros. On trouve des petits flacons ou verres Napoléon III, des vide-poches ou boîtes sans décor, des vases d’église en opaline blanche avec filets. Une paire de vases vaut dans les 100 euros. De 50 à 100 euros encore, on déniche des flacons à sel, grande production du XIXe siècle, sur monture de métal pour des opalines « pâte de riz ».

– Autour de 100 euros, si le décor est un peu usé, on peut s’offrir un flacon boule avec un décor de Desvignes à la feuille d’or, sur motif de myosotis bleus ou rouges, brunis à l’effet.

– De 300 à 400 euros. Si le décor des précédentes est en bon état.

– 1 000 euros et plus. Les décors aux Fables de la Fontaine de Desvignes.

– 1 500 euros. Une opaline gorge-de-pigeon munie d’un bouchon en or.

– Entre 5 000 et 10 000 euros. Les opalines « gorge-de-pigeon » d’époque Restauration. Un flacon gorge-de-pigeon Fables de la Fontaine s’évalue autour de 3 000 euros.

Galerie SEBLANTIC, Vase à Jasmin En Opaline Bleu De Lin, époque Charles X, en vente sur Antikeo

Ce qui donne de la valeur aux opalines d’époque Restauration, ce sont aussi les montures en bronze dorées à l’or fin, avec des anses en forme de serpents ou d’oiseaux. Un baguier en opaline savonneuse sur une monture aux oiseaux vaut entre 500 et 700 euros. Sans monture, le prix chute à 150 ou 200 euros.

Savonneuse ou pas !

Si l’on veut vous vendre une opaline « savonneuse », vérifiez qu’elle est bien de l’époque Restauration, car l’opaline Napoléon III n’a pas droit à cette dénomination. La savonneuse est blanche ou « clair de lune ». Elle rougeoie par transparence. La blanche Napoléon III a moins de transparence, moins de nuances et est plus mate. On l’appelle « opaline pâte de riz ». Attention : la véritable savonneuse est beaucoup plus chère !

Leçons de style

Les opalines Restauration, en cristal de plomb, sont dites Charles X (1824-1830). Mais on en a déjà produit aussi sous Louis XVIII (1815-1824).

Les grands noms de la cristallerie jusque vers 1830 sont Montcenis au Creusot, Bercy (spécialiste des opalines de couleur), Saint-Louis, Choisy-le-Roi et Baccarat qui commence aussi vers 1815.

Vers 1833, on commence à utiliser le moulage sur des opalines de cristal. Mais le travail est repris à la meule pour retirer les imperfections.

Notons, vers 1845, une production exceptionnelle d’objets en opaline de cristal avec décors polychromes, inventés par Jean-François Robert, peintre à la manufacture de Sèvres, célèbre pour ses décors de fleurs au naturel. Ce sont des objets rares et très recherchés.

Galerie SEBLANTIC, Baccarat : Coffret En Opaline Par Jean François Robert, en vente sur Antikeo

À l’époque Napoléon III, on rencontre de belles opalines, réalisations moulées de chez Saint-Louis ou Baccarat, avec des décors d’ananas dont les célèbres « flacons ananas » aux bouchons en forme de fleurs (voir photo plus haut). À la même période, on relève la spécificité de Clichy avec de beaux décors dorés et des formes spéciales, des personnages à l’antique ou orientalistes.

Ajoutons les opalines dites « overlay ». On les trouvait déjà sous Charles X, mais surtout vers le milieu du XIXe. La technique consiste à superposer plusieurs couches de matière à chaud, retaillées pour le décor. Elles étaient reprises à la meule.