Ecole française du XIXe siècle, portrait du Christ à la couronne d'épines.

LA PEINTURE RELIGIEUSE

La Peinture Religieuse

La Peinture Religieuse appartient au genre de la Peinture d’Histoire considérée par le théoricien du classicisme français André Félibien comme le genre le plus noble dans la hiérarchie des peintures. Bien-sûr, aujourd’hui, une telle hiérarchie n’est plus d’actualité. Mais comment se fait-il que la peinture religieuse persiste et soit toujours au cœur des inspirations artistiques ?

I-Naissance et diffusion de la peinture religieuse

La peinture religieuse est la représentation de sujets tirés de la Bible ou de l’Histoire Sainte. (On l’associera directement à la religion chrétienne qui, contrairement aux autres religions du livre, autorise la représentation de sujets religieux).

La peinture religieuse naît avec les débuts du christianisme : clandestinement. En légalisant la liberté de culte, l’Édit de Milan de 313 met fin aux persécutions des chrétiens. On sait ensuite l’ampleur que va prendre cette décision puisque le christianisme devient la religion officielle de l’Empire Romain dès le IVe siècle.

L'Aventure de Jonas, catacombe des saints Pierre et Marcellin, Rome, IV siècle avant J-C. Episode biblique où Jonas est avalé par un gros poisson pendant trois jours et trois nuits.
L’Aventure de Jonas, Catacombe des saints Pierre et Marcellin, Rome

Jonas désobéit à la loi divine et s’enfuit sur un bateau. Il sera jeté à la mer et avalé par un grand poisson pendant trois jours et trois nuits.

Cette peinture fait partie des premières représentations paléochrétiennes trouvées dans des catacombes qui étaient alors de véritables chapelles souterraines pour les chrétiens. La peinture religieuse est donc pour ainsi dire née dans les entrailles de la terre.

C’est aussi à ce moment là qu’une première iconographie chrétienne va se développer. Persécutés, les chrétiens ont cristallisé des symboles ( parfois d’inspiration romaine) permettant de se reconnaître entre fidèles. Ainsi, le poisson devient par exemple le symbole principal des néophytes.

« La Querelle des Images » : l’impact décisif du Concile de Nicée 

Le Second Commandement de la Bible interdit toute reproduction humaine ou divine. La religion chrétienne est de ce fait iconoclaste. Mais c’est alors que l’Église naissante va prendre une décision qui aura un impact colossal. Elle va comprendre l’importance de l’image, intermédiaire direct entre le fidèle et Dieu. En brisant l’interdit biblique, les tableaux religieux vont se déployer largement.

De nombreux conciles vont se former au Moyen âge pour affirmer l’importance des images religieuses et mettre fin à une crise iconoclaste qui secoue violemment l’empire.

Irène l’athénienne, impératrice de l’Empire Byzantin après la mort subite de son mari, met fin à la « Querelle des images » au second Concile de Nicée de 787 libérant ainsi le droit de représentation des images saintes. Le concile a affirmé la nécessité de vénérer les sujets divins à travers les images et les reliques.

Icône du Christ en gloire, peintre russe, tempera sur bois, fin XVe siècle, conservé au Metropolitan Museum of Art

Icône du Christ en Gloire, peintre russe, tempera sur bois, fin XVe siècle, Metropolitan Museum of Art

Dans l’histoire de l’art religieux, on appelle “Icône” les figures sacrées peintes sur bois dans l’empire chrétien d’Orient. Elles ont créé un véritable genre de peinture à part entière.

La Force de l’Image Sainte

Ô vous tous qui passez par ce chemin, regardez et voyez s’il est douleur pareille à la mienne.”

Lamentations : 1.12

La liberté de représentation des images saintes rétablie, de véritables thématiques propres à l’histoire chrétienne vont venir se cristalliser dans la peinture religieuse. On parle de Christ en Croix, d’Annonciation, de l’Adoration des Mages etc. Les chapitres des écrits bibliques vont se convertir en images et révéler une véritable iconographie chrétienne.

C’est le cas par exemple des : Pietà. Probablement instigué pendant le siège papal à Avignon, Le thème de la Pietà s’est profondément répandu dès la fin du Moyen-Âge et aura un succès considérable au XVe siècle. Pietà vient de Pitié et s’inscrit dans le cycle des Lamentations. Il s’agit de la représentation du Christ mort sur les genoux de sa mère.

Panneau de tryptique dit Pietà, représentation du Christ mort et ensanglanté sur les genoux de sa mère.

Panneau de tryptique dit « Pietà » XVe siècle, Email satiné/cuivre, Metropolitan Museum of Art

Le Saint Patron des peintres

Outre le fait de se bâtir une iconographie propre, la peinture religieuse continue d’asseoir sa légitimité par l’intermédiaire d’un Saint protecteur : Saint Luc.

Saint Luc eut, selon les écrits saints, l’honneur de faire le portrait de la Vierge à de maintes reprises. Il est dès lors rapidement assimilé au protecteur des peintres. D’autant qu’à partir du Moyen- Age, vont se développer en Europe des confréries de peintres appelées « guildes de Saint-Luc » en hommage direct à l’Évangéliste.

Médaillon à l'effigie de Saint-Luc, saint barbu et son emblème: un taureau dans le coin inférieur gauche.

Médaillon à l’effigie de Saint-Luc, attribué à Jean III Pénicaud, 1550, Metropolitan Museum of Art

Gravure de Saint Luc en train de peindre la Vierge et l'enfant Jésus. 1603, conservé au Petit Palais.

Gravure de Saint Luc peignant la Vierge d’après Raphael, Cornelis II Le Jeune, Rome, 1603, Petit Palais

Pourquoi une telle affluence de peintures religieuses?

Il faut savoir que l’Église, depuis le moyen-âge est le principal commanditaire de tableaux. C’est pourquoi nous avons une exceptionnelle collection de peintures religieuses en Europe. D’ailleurs, c’est à cette même époque que l’Église s’élève en maître à penser, manifestant sa toute puissance à travers les fondements d’une architecture grandiose. A partir de ce moment là, l’architecture servira de support à la peinture religieuse.

Grande Fresque de Saint-Christophe les pieds dans l'eau transportant l'enfant Jésus sur son épaule et tenant l'orbe. XVe siècle, conservée au Metropolitan Museum of Art.

Saint Christophe et l’Enfant Jésus, Domenico Ghirlandaio, fresque, XVe siècle, Metropolitan Museum of Art

Une diversification des supports

l’avènement du style gothique bouleverse la structure des édifices, les vides remplacent les pleins et la surface disponible pour la peinture se restreint obligeant les peintres à trouver de nouvelles alternatives. C’est à cette même période que se développent donc : les tableaux et le travail des vitraux. On peut aussi souligner le merveilleux travail de l’enluminure (déjà pratiqué pendant l’ Antiquité) qui trouve son âge d’or au Moyen-Age .

Enluminure tirée du manuscrit des Très Riches heures du Duc de Berry, scène d'Annonciation à la Vierge, XVe siècle.

Page du manuscrit des Très Riches Heures du Duc de Berry, l’Annonciation, 1405/1409, Les Frères Limbourg, Metropolitan Museum of Art

Vitrail de Saint Bernard dans les tons de pourpre, beige et vert foncé. Allemagne, 1505/1508. Metropolitan Museum of Art

Saint-Bernard, Allemagne, 1505/1508, Metropolitan Museum of Art

II- La peinture religieuse au delà de la peinture religieuse

Pouvait-on prévoir une telle ampleur?

Avec la Renaissance et le développement du courant humaniste, les esprits se sont peu à peu modifiés. La volonté de délaisser la scolastique au profit d’un mode de pensée propre s’est reflétée jusque dans la peinture. Les codes picturaux imposés par l’Église ont été transformés et une recherche de liberté nouvelle s’est faite sentir.

En Italie, la peinture religieuse s’esthétise et se met au service du beau. L’homme, désormais au centre des préoccupations offre ses traits et ses proportions aux sujets divins. La redécouverte de l’Antiquité apporte un renouveau des inspirations païennes. Si la peinture religieuse veut survivre, elle doit s’adapter. Ce qu’elle fera avec brio.

Agonie dans le jardin des oliviers de Raphael, 1504, Metropolitan Museum of Art. Le christ prie près d'un arbre, un ange dans l'angle supérieur droit brandit un calice, les apôtres dorment autour du Christ.

Agonie dans le Jardin des Oliviers, Raphaël, 1504, Metropolitan Museum of Art

Conformément à l’iconographie chrétienne, Raphaël représente ici le Christ priant dans la dernière nuit avant sa crucifixion pendant que ses disciples Pierre, Jean et Jacques de Zébédée dorment. Par rapport aux représentations codifiées du Moyen-Age, ce tableau nous offre des sujets religieux beaucoup plus terrestres et humanisés. Le divin n’occupe qu’une très petite partie dans l’angle supérieur droit du tableau. Le fond d’or laisse sa place au paysage. Le divin est sur terre. L’homme en a les traits.

En s’emparant de la peinture sainte, les grands peintres de ce temps ont conduit la peinture religieuse a son apothéose. La peinture religieuse devient le support pour le déploiement d’une recherche esthétique. Pensons par exemple aux corps musclés de Michel Ange qui ornent la Chapelle Sixtine ! Le peintre a désormais son mot à dire, la peinture religieuse oscille entre l’artiste et l’homme d’église. On est alors en droit de se demander : N’aurait-elle pas dépassé la simple fonction d’instruire les fidèles ?

La peinture d’histoire: un terme polysémique

La peinture religieuse est assimilée au genre de la peinture d’histoire. Pourquoi ? Parce qu’elle est porte parole de faits historiques. Qu’ils soient véridiques ou non, ces épisodes bibliques nous enseignent sur des évènements du passé. D’ailleurs, La peinture religieuse a dépassé l’idée même de ne représenter que la religion chrétienne et est devenue un véritable creuset de renseignements politiques, symboliques , sociologiques, esthétiques etc.

C’est d’ailleurs ce qui pourrait illustrer la période du Concile de Trente ( appelée ainsi pour la ville de Trente où l’évènement eut lieu) .En 1542, le monde chrétien est en proie à une scission qui fragilise considérablement le pouvoir papal et par conséquent l’Église catholique. La Renaissance amène de nouvelles traductions de la Bible et fait émerger de nouvelles croyances remettant en cause la vérité suprême que détenait jusqu’alors l’église catholique. En 1517, sont placardées les 95 thèses de Martin Luther. Le protestantisme va se répandre et provoquer une vague de remise en question au sein de l’Europe. En réaction à la Réforme protestante, l’église catholique va diffuser un nouveau mouvement connu sous le nom de Contre Réforme : Rubens est l’artiste qui incarne cette période !

Saint François d'Assise par Peter Paul Rubens a les bras croisés. Il porte un crucifix et ses mains ont déjà reçu les stigmates lui infligeant la même douleur que le Christ. Il se découpe sur un ciel orageux bleu-gris foncé. 1615 Metropolitan Museum of Art
Saint François, Peter Paul Rubens, 1615, huile sur panneau, Art Institute of Chicago

La Contre réforme entraîne un culte massif des Saints, ils sont glorifiés par leur martyr. C’est l’évangélisation par l’art, le culte du mystique. Pour représenter Saint François d’Assise, Rubens ne déploie pas son spectaculaire dans le faste mais au contraire dans la sobriété. Fondateur de l’ordre des Franciscains, Saint François préconisait une foi dépouillée de tout attachement matériel. L’émotion mystique se trouve dans l’humilité de cet homme. Ses bras croisés, en retenue, contredisent parfaitement l’image outrancière des hommes d’église qui circulait alors.

Autoportrait de Rubens, Gravure du XIXe siècle conservée au château de Windsor. Rubens est coiffé d'un grand chapeau noir, sa barbe couvre son long menton qui prend la forme d'un croissant.
Luigi Calamatta, Autoportrait de Rubens, Gravure, XIXe siècle, Château de Windsor

Au cœur même des tensions catholiques/protestantes puisque originaire des Pays-Bas, qui de mieux qu’un peintre/diplomate tel que Rubens dans cette période de trouble ? Représentant majeur de la peinture baroque, il contribuera grandement à donner un nouveau souffle à la peinture religieuse.

Le Concile de Trente, insista largement sur l’importance de la propagande religieuse et l’impact du grandiose sur la foi mise à l’épreuve des chrétiens. Et c’est là qu’intervient le double sens de la peinture dite d’histoire. La peinture religieuse n’a pas qu’une portée historique, elle véhicule une histoire. Plus forte est l’histoire, plus forte est la foi. Pour ne pas perdre la croyance des fidèles, la peinture baroque doit magnifier, marquer, frapper les esprits quitte à faire peur, à perturber, en tout cas elle doit provoquer une ferveur nouvelle au croyant qui sera frappé par sa magnificence . Jeux de lumières, couleurs contrastées, corps à la musculature décuplée, scènes grandioses, rien n’est trop beau pour illustrer la grandeur catholique. La peinture baroque est la peinture de la passion, tout comme la Passion du Christ, elle influe directement sur nos sentiments.

Cette Lamentation peinte en 1582 par Ludovic Carrache représente un Christ mort sur un linceul blanc. Son corps est encore courbé par la douleur et sa position sur la croix, sa mère s'évanouit devant une telle image.

Ludovico Carracci, Lamentation,1582, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art

La peinture religieuse comme source d’inspiration persistante

En véhiculant des histoires aussi fortes, la peinture religieuse n’a pas uniquement renforcé la croyance des chrétiens. Elle a aussi alimenté l’inspiration des artistes avec des sujets énigmatiques. Les mystères d’une histoire créent souvent une fascination inexplicable. En cela la peinture religieuse perpétue cette fascination. Pourquoi tant de madones ? Tant de Christ différents ? Chaque artiste peut se laisser toucher et inspirer par les Saintes Écritures et donner sa propre interprétation de l’histoire. C’est le cas par exemple de la figure énigmatique de Marie-Madeleine. Marie Madeleine la sensuelle, la pieuse et l’intrigante. Figure idéalisée au point qu’elle fut interdite de représentation à Florence pendant un temps.

Marie Madeleine nue, ses longs cheveux dorés cerclent son corps. Ses mains sont en prière. Une lumière divine éclaire son visage. Madeleine est en extase mystique.
Tableau attribué à Gianpetrino vers 1549 conservé au petit Palais à Paris.

Madeleine en Exstase, Attribué à Gianpetrino (vers 1549), huile sur bois, Petis Palais, Paris

Marie Madeleine est vieille et semble aveugle. Ses bras sont posés sur un crâne. Pourtant, elle regarde vers le ciel et semble plongée dans une transe mystique. Hardy Caspar Bernard, XVIIIe siècle, conservé au Musée Carnavalet.

Marie Madeleine en prière, Hardy Caspar Bernard, XVIIIe siècle, Musée Carnavalet

Mais le plus révélateur d’un tout nouveau mouvement religieux reste sans doute la Pietà de Zadkine.

Pietà de Zadkine, 1962 conservée au Musée Zadkine. La Vierge, au visage déformé a le corps cerclé de noir. Le Christ, allongé sur ses genoux disparaît presque comme s'il allait tomber. Son corps douloureux est également cerné de noir.

Pietà, Zadkine, 1962, Estampe, Musée Zadkine

La peinture religieuse se perpétue, se renouvelle et se ré explore. C’est une source intarissable d’inspiration qui a porté les explorations des techniques picturales durant des siècles. La peinture religieuse est indissociable de l’évolution de l’histoire de la peinture. C’est ainsi qu’elle continue d’être admirée. Porteuse de chefs d’œuvre et des signatures des plus grands, la peinture religieuse nous envoûte, nous fascine, nous terrifie. Elle a même dépassé la religion puisque là où le croyant assouvit sa foi, l’athée épanche sa soif du beau.


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