COMMENT CELA MARCHE ? QUELS SONT LES AVANTAGES ET LES INCONVÉNIENTS ?
Par Maître Eric VAN DAELE Avocat au Barreau de Paris, Professeur associé à l’IESA et à l’Université de Paris-Est
Quand j’aborde avec mes étudiants de master l’étude du « livre de police », plus exactement du « registre d’objets mobiliers », j’extirpe de ma serviette un gros cahier vert, gracieusement prêté par le SNCAO-GA. Je leur montre et le fait circuler pour qu’ils voient, touchent, s’imprègnent, de ce document majeur de leur future activité d’antiquaire, de galeriste, etc. J’ai alors l’impression de leur montrer une relique d’un temps très lointain. Très vite la question vient.
” Monsieur, n’existe-t-il pas une forme informatisée de ce registre ? “
Jusqu’à une époque relativement récente, je leur répondais par la négative. En effet, si le code pénal prévoyait bien depuis 2013 la tenue du registre au moyen d’un traitement automatisé, il renvoyait pour ses modalités concrètes à un arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la culture (Code pénal, art. R 321-6-1 et R 328), arrêté qui n’est intervenu que le 15 mai 2020. Depuis cet arrêté il est donc possible de tenir le registre d’objets mobiliers sous forme dématérialisée.
Le Bulletin du SNCAO-GA s’en est, d’ailleurs, fait l’écho dans un article publié en mai 2013. Pour autant, il n’est pas inutile de revenir sur le sujet. A quelles conditions et quels sont les avantages/inconvénients d’un tel registre informatisé ?
1. Conditions de mise en œuvre d’un « livre de police » informatisé
D’abord, ce livre doit comporter certaines mentions. Nous verrons que là, c’est du classique. Ensuite, la tenue du livre doit respecter certaines règles. Cela devient alors plus compliqué.
1.1 Mentions obligatoires du registre d’objets mobiliers informatisé
Sans surprise, le « livre de police » informatisé doit comporter les mêmes mentions que celui papier. A toutes fins utiles et sans vouloir faire injure au professionnalisme des adhérents du SNCAO-GA, je rappellerai rapidement ces mentions :
- nom, prénoms, qualité et domicile de la personne qui a vendu, apporté à l’échange ou remis en dépôt l’objet ;
- nature, numéro et date de délivrance de la pièce d’identité produite par la personne qui a réalisé cette vente, cet échange ou ce dépôt ;
- lorsque la personne qui a réalisé cette opération est une personne morale (société, association, etc.), sa dénomination, l’adresse de son siège ainsi que les nom, prénoms, qualité et domicile de son représentant ;
- la nature, la provenance et la description du bien acquis ou détenu, objet de la vente, de l’échange ou du dépôt. Cette description doit, notamment, comporter les caractéristiques ainsi que, lorsqu’ils existent, les noms, signatures, monogrammes, lettres, chiffres, numéros de séries, emblèmes et signe de toute nature apposés sur lui et qui permettent son identification ;
- le numéro d’ordre sous lequel l’objet est exposé à la vente ou détenu en stock ;
- le prix d’achat et le mode de règlement de l’objet ou lot d’objets ou, en cas d’échange, d’acquisition à titre gratuit ou de dépôt en vue de la vente, une estimation de sa valeur vénale.
- lorsque vous en avez connaissance, l’indication d’éventuelles mesures de protection de l’objet prises en application des dispositions du code du patrimoine.
1.2 Exigences de tenue du registre d’objets mobiliers informatisé
Cela se complique. L’article R 321-6-1 du code pénal exige que le traitement automatisé garantisse « l’intégrité, l’intangibilité et la sécurité des données enregistrées ». En substance, ces critères signifient, qu’en cas de contrôle, vous puissiez démontrer que les éléments enregistrés dans votre « livre de police » dématérialisé :
- ne peuvent pas, a posteriori, être modifiés ou complétés ;
- sont sécurisés contre les accidents ou les attaques malveillantes ;
- restent lisibles pendant toute leur période de conservation requise et ce , alors même que vous changeriez une ou plusieurs fois de système informatique ou d’ordinateur.
Cette période est de 10 ans à compter de l’enregistrement des données (Code pénal, art R 321-6-1). Notez qu’elle diffère de celle prévue en cas de registre papier, laquelle expire la 5e année qui suit celle de clôture du livre (Code pénal, art R 321-6).
Ces exigences ont pour but que votre registre informatisé présente le même degré de fiabilité que celui que pourriez tenir sous forme papier « à l’encre indélébile, sans blanc, rature ni abréviation » (Code pénal, art R 321-6).
Afin de garantir qu’elles sont satisfaites, l’arrêté du 15 mai 2020 prévoit que votre traitement informatisé doit être conforme à la norme ISO 14641-1 relative à l’archivage électronique. « Exit » donc la tenue d’un « livre de police » sous forme de tableau Excel ou Word, ou dans un fichier de votre ordinateur.
Concrètement, si vous voulez tenir votre registre sous forme dématérialisée, vous n’y arriverez pas seul, sauf pour ceux d’entre vous qui sont des geeks. Vous devrez alors faire appel à un prestataire.
2. Avantages et inconvénients du « livre de police » informatisé
2.1 Les avantages
La tenue d’un registre des objets mobiliers informatisé présente principalement 4 avantages :
- possibilité de le consulter n’importe quand et n’importe où en se connectant sur le logiciel dédié à ce livre. Ceci résout la délicate question de son transport, notamment, pour ceux qui sont à la fois sédentaires et ambulants ;
- facilité pour retrouver un objet inscrit dans le livre. Il vous suffira d’utiliser le moteur de recherche du logiciel et en un clic vous pourrez avoir l’origine, le prix, etc., de l’okimono acquis il y a 15 ans ;
- liaison possible de votre « livre de police » informatisé avec vos logiciels de facturation. Ceci vous permet d’éditer directement les factures et de calculer votre TVA sur la marge ;
- facilité de la gestion de votre stock. Le registre dématérialisé permet de tenir en temps réel l’inventaire. Fini les interminables heures passées à vérifier ce qui vous reste en magasin et à faire des états de rapprochements.
2.2 Les inconvénients
Les inconvénients de la tenue informatisée de votre « livre de police » sont, en substance, au nombre de 3 :
- le coût. Elle suppose un abonnement auprès de l’éditeur du logiciel. En pratique celui-ci est d’environ 45 €/mois. C’est plus cher que le registre acheté 20 € auprès du SNCAO-GA ;
- il est compliqué de changer de format ou de prestataire une fois que vous avez fait votre choix. Un retour à la forme papier est quasiment impossible. Quant au changement d’éditeur de logiciel ou d’entreprise de stockage des données, il est délicat. Il suppose le transfert des informations passées de l’un à l’autre avec tous les problèmes de compatibilité entre l’ancien et le nouveau système que cela peu poser. Ceci étant, si vous optez pour la dématérialisation, vérifiez bien dans le contrat que vous signerez que le prestataire actuel s’engage à transférer sans délai et sans frais tous les éléments en sa possession au nouveau fournisseur que vous aurez choisi. Dans le jargon juridique, ceci s’appelle « la réversibilité » ;
- absence de « souplesses » dans la tenue du « livre de police ». En particulier les corrections a posteriori sont impossibles.
En conclusion
la possibilité de tenir sous forme dématérialisée le « livre de police » constitue une avancée. Elle répond, d’ailleurs, à une demande ancienne de la profession puisqu’une réponse ministérielle Flory du 25 mars 2008 en faisait déjà état, mais l’écartait faute de texte le permettant.
A mon avis, l’utilisation d’un registre des objets mobiliers informatisé doit s’inscrire dans une démarche globale d’automatisation de la gestion de votre entreprise et permettre, notamment, le suivi de l’inventaire des stocks, l’émission des factures, le calcul de la TVA sur la marge.
Ceci étant, gageons que dans un proche avenir, sous la pression en particulier de l’administration fiscale et afin de faciliter ses contrôles, il ne sera plus question de choix. Le « livre de police » informatisé sera obligatoire.