nature morte représentant des objets d'Orient, babouche, sabre et bijoux orientaux.

l’Orientalisme

l’Orientalisme

L’Orientalisme a fait l’objet de nombreuses études car, il est plus qu’une simple tendance artistique. Il nous renseigne sur ce formidable siècle d’expérimentations qu’est le XIXe . D’abord, remettons nous dans le contexte artistique et politique : la France, après la Révolution se scinde en deux. Cela transparaît dans ses œuvres d’art. D’un côté, il y a la volonté de conserver un style académique (à la française) très fort, de l’autre, une envie d’avancer, d’innover, de révolutionner. Le XIXe siècle sera en perpétuelle oscillation entre ces deux tendances : Le néo-classicisme est un exemple de conservation, alors que les plein-airistes de Barbizon ou les impressionnistes sont plutôt dans une optique de bousculer.

Au milieu, l’Orientalisme. L’Orientalisme est un formidable résultat de cette dualité du XIXe siècle. Les peintres orientalistes, assoiffés de nouveaux thèmes à exploiter, de nouvelles couleurs, de nouvelles lumières, conservent cependant leur manière de peindre occidentale.

D’abord, qu’est ce que l’Orientalisme ? Idée ambitieuse que d’associer une thématique artistique à un territoire. Territoire d’où ? Du Proche et du Moyen-Orient généralement. L’Orientalisme évoque la culture de l’Orient. Oui, mais quel Orient ? L’Orient que vous et moi connaissons ? L’Orient du XIXe siècle ? C’est pourquoi, plutôt que d’Orientalisme, parlons d’orientalistes, c’est à dire ceux qui se sont intéressés à l’Orient dans leur art. Il y a ceux qui s’y sont intéressés en terme de territoire, avec une approche naturaliste, et ceux qui s’y sont intéressés de manière plus littéraire et qui ont trouvé en l’Orient une nouvelle matière à rêver.

Pourquoi cet intérêt pour l’Orient ?

Sur le chemin du marché d'Alexis Eugène Giradet, des marocains à dos d'âne se rendent au marché, les paniers chargés de leur production.
Eugène Alexis Girardet, Sur Le Chemin du Marché, 1870/1880, wikimedia Source,

L’artiste, qui a travaillé avec le peintre Jean-Léon Gérôme est incité par son maître à se rendre en Orient. Dès 1874, il se rend en Afrique du Nord et deviendra le porte-parole d’un Orient réaliste.
La favorite de l'Emir de Constant représente une femme d'Alger à demi couchée sur un divan oriental. Sa pose est très sensuelle
Jean Joseph Benjamin Constant, La favorite de l’émir, 1879, huile sur toile, Art Institute of Chicago,

Ici, le peintre nous offre une image fantasmée de l’Orient. Cette peinture d’histoire évoque parfaitement la lascivité sensuelle qu’on attribuait aux femmes orientales

Un Orient Politique

“Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec assis courbait sa tête, humiliée”.

Victor Hugo, Les Orientales, 1829

Bien que l’Orientalisme soit en général associé au XIXe siècle, l’intérêt pour l’Orient n’émerge pas de nulle part. Les fascinations et les craintes que suscitent les territoires du Proche et du Moyen-Orient remontent à bien plus longtemps. Sans en faire tout l’historique, les pays d’Orient se sont rapidement imposés comme les maîtres du commerce et leurs territoires si vastes et remplis de richesses ont souvent fait la fascination des occidentaux. A partir de la Renaissance, il va y avoir une redécouverte de la langue arabe et, grâce à l’imprimerie, une diffusion des textes arabes anciens. En Occident, on a donc rapidement associé la culture arabe à quelque chose d’ancestral et d’ historique. Au XIX e siècle, la situation change. L’ Orient devient, selon la formulation de Victor Hugo une « préoccupation générale ». Plusieurs événements indispensables s’y passent:

– En 1798 La Campagne d’Egypte de Bonaparte et les trésors pillés rapportés par son armée déclencheront une véritable “égyptomanie” chez les occidentaux. Immortalisée par son peintre officiel Antoine Jean Gros, la campagne de Bonaparte favorise le développement de l’Orientalisme en alimentant les rêves et les fantasmes venus d’ailleurs.

-En 1821, La Grèce, inspirée des idéaux révolutionnaires français déclare la Guerre à l’Empire Ottoman pour obtenir son indépendance. Des artistes tels que Victor Hugo, Lord Byron ou Eugène Delacroix s’engageront dans la cause helléniste.

– En 1830, l’Algérie est envahie et conquise par les troupes de Charles X et en décembre 1848 on crée les départements français d’Algérie.

En 1842, est créé un poste de Consul de France à Mossoul. On désigne le célèbre archéologue diplomate Paul Emile Botta pour remplir cette fonction. L’archéologue mènera un travail de fouilles considérables. Il fera redécouvrir la civilisation mésopotamienne à l’Occident.

De plus, le XIXe siècle a connu le plus de rebonds politiques. Après la révolution, la situation politique des français était quelque chose de jeune, inscrit en eux et qui leur tenait à cœur. Ceci peut expliquer l’engouement de ces artistes pour les causes politiques de leur siècle .

Scène de bataille à cheval dans les montagnes de Delacroix.
Eugène Delacroix, Arabes Escarmouches dans les Montagnes,1863, Musée national d’art de Washington,

Les scènes de batailles étaient, pour les peintres, un moyen d’exprimer leur ferveur politique. Hors, les conquêtes du Moyen-Orient se font évidemment par la force. Les artistes français, au cœur d’un système politique encore jeune et en construction peuvent, à travers l’Orient, exprimer leur volonté d’engagement.

Un Orient Littéraire

“Schéhérazade, en cet endroit, s’apercevant qu’il était jour, et sachant que le sultan se levait de grand matin pour faire sa prière et tenir son conseil, cessa de parler. “

Antoine Galland, Les Mille et Une Nuits, 1704

Ces artistes, outre leur engagement politique sont, pour la plupart, de grands amateurs de littérature. N’oublions pas que le XIXe siècle est florissant pour les médias. Et, avec les bouleversements incessants qu’il connaît, les auteurs ont plus que des choses à dire. Delacroix, peintre indissociable de l’orientalisme, est un grand amateur de littérature. Les thèmes littéraires sont récurrents dans ses œuvres. Pourquoi l’allusion à la littérature ? Rappelons nous les textes arabes traduits à la Renaissance. En 1704, le Premier Volume des Milles Et Une Nuits paraît. Le livre aura un succès considérable chez les occidentaux. A travers ces textes se diffuseront des thèmes propres à l’Orient littéraire tels que les harems, la sensualité, la violence, tout un monde nouveau qui enfiévra l’imaginaire des lecteurs occidentaux.

De plus, n’oublions pas l’influence qu’avait encore l’Eglise sur les mentalités occidentales. Les thématiques de la Bible étaient au centre de la peinture d’Académie. Hors, la Bible considère les territoires du Moyen-Orient comme le berceau du Monde. Plusieurs peintres orientalistes tels que Théodore Chassériau, sont venus chercher en Orient une vérité nouvelle quant à l’expression de leurs sujets bibliques et d’histoire.

Desdémone nous fait face comme si elle posait pour nous. Elle est dans un intérieur tout à fait oriental accompagnée de sa suivante à la peau sombre.
Théodore Chassériau, Desdémone, 1849, huile sur bois, Metropolitan Museum of Art

Sous l’invitation du calife Ben Ahmad qu’il a rencontré à Paris, Théodore Chassériau se rend en Algérie en 1846. Ici, pas de thème biblique mais bien un thème littéraire propre à l’Orientalisme. Héroïne de Shakespeare dans Othello ou le Maure de Venise, Chassériau contribue à cultiver l’idéal d’une femme orientale et d’une vision littéraire de l’Orientalisme.

Le Voyage: Imaginaire ou réel?

La caravane humaine au Sahara du monde,
Par ce chemin des ans qui n’a pas de retour,
S’en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour,
Et buvant sur ses bras la sueur qui l’inonde.

Théophile Gautier, La Caravane, Recueil La Comédie de la Mort

Avant le XIXe siècle, le manque de routes et de voies ferrées rendait les transports longs, couteux et parfois complexes. La littérature était donc un moyen idéal pour s’évader sans bouger de chez soi. C’est ainsi que les récits de voyage qui nous semblent aujourd’hui parfois désuets étaient lu avec une avidité extrême. Au XIXe siècle, plusieurs pays d’Europe s’industrialisent et développent leur réseau ferroviaire. Les voyages deviennent possibles et accessibles pour un plus grand nombre de personnes. Mais, voyager reste tout de même un luxe. L’Orientalisme se situe une fois de plus à la croisée de ces deux tendances. Il y a les artistes qui voyagent et les artistes qui peignent l’Orient depuis chez eux, un Orient fantasmé, créé de toutes pièces.

Avec l’orientalisme, il y a une nouvelle place accordée au nu. Le thème du harem permettait aux artistes de peindre des visions érotiques fantasmées. L’ailleurs permet le rêve et encore plus si cet ailleurs est inconnu du plus grand nombre. L’Orient, dans sa vision de mystère rendait possible une plus grande liberté de peinture. Peut-être est-ce grâce à cet Orient fantasmé qu’Ingres prend la liberté de rajouter des vertèbres à son odalisque? Quoi de mieux pour alimenter un fantasme?

Odalisque d'Ingres, nue avec un turban sur un lit, son corps est allongé, typique d'Ingres.
Jean Auguste Dominique Ingres, Odalisque en Grisaille, entre 1824 et 1834, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art

Ingres n’est jamais allé en Orient. Et pourtant, ses toiles évoquent le voyage. l’Odalisque était, dans l’appellation turque, une esclave rattachée au service des femmes du harem. Les peintres orientalistes se servent de la thématique du harem pour explorer la nudité et surtout, la justifier auprès des occidentaux.

l’Appel de la Nouveauté

“Ils sont plus près de la nature de mille manières: leurs habits, la forme de leurs souliers. Aussi, la beauté s’unit à tout ce qu’ils font. Nous autres, dans nos corsets, nos souliers étroits, nos gaines ridicules, nous faisons pitié. La grâce se venge de notre science”.

Eugène Delacroix, Le Voyage au Maroc ,1832, Journal ,Pages Choisies

Est ce que l’enthousiasme des peintres pour l’Orient a pu ouvrir la voie aux futurs impressionnistes ? En tout cas, c’est bien un appel de l’extérieur qui motive les peintres à chercher de nouvelles lumières et de nouvelles couleurs. L’histoire de la peinture occidentale en sera bouleversée à jamais. Les palettes deviennent ocre, rouge brique, rose et les toiles s’emplissent de soleil. Ce qui est fascinant, c’est de se dire que la peinture occidentale a toujours été très codifiée. C’est à dire que des thèmes étaient récurrents. Dans le cas de la France, ces thèmes étaient même imposés par l’Académie. Ainsi, on retrouve un nombre infini de toiles religieuses, de toiles mythologiques ou d’histoire. Alors, les premiers artistes orientalistes ont posé un regard d’artiste occidental sur l’Orient. C’est ainsi qu’ils ont ramené dans leur pays d’Europe de nouveaux thèmes, des thèmes qu’ils ont fini par rendre académiques. En 1893 à  Paris, a lieu la création du Salon des Peintres Orientalistes qui montre le succès des thèmes exotiques. Puis en 1908 est fondée la Société Coloniale des Artistes Français.

Nature morte aux babouches et au sabre.
Auguste Allébé, Nature morte aux babouches, 1873, huile sur toile, rijksmuseum

Comme l’Orient occupait les esprits du XIXe, les peintres, bourgeois, et amateurs d’art s’empressaient de se créer des collections ramenées d’Orient. Il n’est pas rare de trouver, dans certains romans des grands auteurs du XIXe, une allusion au pied d’une femme qui s’échappe d’une pantoufle orientale, comble de la sensualité…

L’Orient esquissé

” En passant par le souvenir, la vérité devient un poème, le paysage un tableau”.

Eugène Fromentin

Même si la plupart des artistes réalisaient leurs toiles en atelier, le voyage les a contraint de s’adapter. Les yeux sont l’organe du souvenir mais le croquis permet de l’ancrer. Delacroix a ramené des carnets de croquis et de notes qui sont restés dans les mémoires de l’histoire de l’art. Qu’il soit imaginaire ou réel, le voyage des artistes en Orient leur a permis de trouver dans le dessin une vérité nouvelle. En quelques traits de crayons ou d’aquarelle ils recréent un Orient sur papier. Et pour notre plus grand plaisir, les différents dessins et esquisses qui sont le journal intime du peintre nous permettent de découvrir ce qui leur importait vraiment : le mouvement, la précision, la couleur etc…

Saurez-vous reconnaître qui se cache derrière ces coups de crayon?

Dessin de Rembrandt, trois figures orientales conversent.
Rembrandt, Trois figures Orientales, 1641, gravure à l’eau forte sur papier, Rijksmuseum
Esquisses de cavaliers orientaux par Géricault
Théodore Géricault, Esquisses de cavaliers orientaux, 1813/1814, Graphite sur papier
Famille Orientale par Durer, fait penser à la Sainte Famille.
Albrecht Durer, Famille Orientale, 1496, Gravure sur papier vergé ivoire
Cavalier Turc peint à l'aquarelle par Delacroix.
Eugène Delacroix, Le Cavalier Turc, 1834, gouache et aquarelle (technique anglaise)

BIBLIOGRAPHIE

Les Orientalistes Peintres Voyageurs 1828-1908, Lynne Thornton, Editions de l’amateur

Les Orientalistes, Christine Peltre, Editions Hazan

Orientalisme, Christine Peltre, Edition Terrail

Podcast: Les Enquêtes du Louvre, Les Taureaux ailés de Khorsabad


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