Un cadeau de Dame Nature
D’un point de vue scientifique, le textile est un matériau qui se divise en fibres assemblées selon différentes techniques. Chaque territoire utilise les matériaux que la Nature met à sa disposition : l’Europe se concentre sur la laine tandis que l’Extrême Orient tire profit du ver à soie. Avant d’être tissées, les fibres naturelles, exceptée la soie, doivent être transformées en fils. Les fibres sont étirées et alignées parallèlement par peignage, puis transformées en un fil continu par filage. Pour faciliter cette longue tâche, des outils sont créés. Le fuseau en premier lieu, mécanisé en Europe au XIVème siècle par l’invention du rouet. Par la suite, le tournant de l’industrialisation transforme le pénible travail de plusieurs fileuses en un travail simple et répétitif d’un seul homme.
Une pièce de tissu peut très bien être appréciée pour son aspect brut. Toutefois, la couleur et les motifs rencontrent plus de succès. Comme pour les tapisseries, le motif peut être intégré directement au moment du tissage. Le motif peut aussi être obtenu par impression, broderie ou assemblage de différentes pièces de tissus colorés. D’ailleurs, cette couleur est obtenue par teinture des fibres. C’est un processus long et précis, qui vise à colorer le tissu et qui trouve sa spécificité dans chaque population. À Java, le batik est pensé en négatif : la cire forme des motifs sur lesquels la tenture ne prendra pas.
Se vêtir avant tout
Les premiers vêtements sont constitués de peaux d’animaux drapées et nouées par de fines lanières de cuirs. Par la suite, la mise au point de l’aiguille permet d’assembler les pièces de tissus de manière plus précise, évitant au maximum les pertes de chaleur. Le mouton est domestiqué en Mésopotamie, et sa laine filée est plus chaude que les fourrures. Le tissage est une opération lente et coûteuse, mais cela reste la méthode de fabrication de textile qui rend le matériau à la fois solide et très isolant. De fait, c’est la méthode de fabrication privilégiée pour les vêtements, qu’ils soient classiques ou plus … eucharistiques.
Habiller sa maison ensuite
Concernant l’ameublement, le tissu est en général choisi pour son épaisseur, et par extension sa résistance aux frottements. Cela n’empêche pas les rois de commander des garnitures de lits et de fauteuils en soie ou en velours. Dans un autre registre, les tapisseries sont aussi la preuve de l’importance accordé aux textiles. À la fois utile et décorative, la tapisserie est l’exemple même du luxe. Son aspect esthétique est indéniable, tout autant que sa fonction isolante. Parfois tissée avec des fils d’or, le lissier met une bonne journée pour tisser l’équivalent d’une paume de main de tapisserie. Le commanditaire, en plus de son porte-monnaie garni, devait donc s’armer d’une patience infinie.
Les manufactures s’en mêlent
Jusqu’à la Révolution, les corporations régissent les métiers artisanaux. Presque indépendants, les usages sont très stricts. Pour devenir maître, il est nécessaire d’être apprenti auprès d’un maître un certain nombre d’années. Ensuite, s’il est assez doué, l’apprenti peut présenter un chef d’œuvre et passer la maîtrise à son tour. Excessivement cher, ce « diplôme » n’est pas payant pour le fils d’un artisan de la corporation. C’est pour cela qu’il existe autant de dynasties d’artisans au sein des corporations.
Toutefois, cette sectorisation peut poser problème. En effet, produire un objet nécessite plusieurs corps de métiers. Le rôle de gérant est laissé à une tierce personne. Au XVIIIème siècle, c’est le marchand mercier qui assure ce rôle.
L’enjeu derrière la production
Dès le début du règne de Louis XIV, Colbert entreprend une véritable politique artistique, qu’on pourrait presque qualifier de nationaliste, si le concept de nation existait à ce moment-là. Il va créer de nombreuses manufactures qui bénéficient d’un privilège royal. Reprenant les bases établies par Laffemas, le ministre d’Henri IV, Colbert cherche à réduire le décalage entre le potentiel économique du royaume et l’activité assez médiocre de l’économie réelle. Le contrôleur général des finances a parfois recours à l’espionnage industriel (cf. Fabrication et évolution du miroir en Europe). Cette démarche favorise l’uniformité du style ainsi qu’une excellence technique, qui jouent un grand rôle dans la diffusion des modèles.
Les grandes manufactures
Dans le domaine des tissus anciens, plusieurs manufactures royales se détachent et sont encore actives. La Manufacture royale des Gobelins, sous la direction de Charles le Brun, acquiert une réputation en dehors de frontière du royaume. Ainsi, la production tend à magnifier le souverain, et se destine uniquement à l’ameublement des maisons royales et aux présents diplomatiques. Rattachée à l’administration du Mobilier national depuis 1937, la Manufacture nationale des Gobelins tisse d’après des œuvres contemporaines de la même manière qu’il y quatre siècles.
La Manufacture royale de la Savonnerie se spécialise dans les tapis. En 1604, Henri IV a installé dans la Grande Galerie du Louvre un tapissier ayant pour mission d’imiter les tapis du Levant et de la Turquie. Il souhaite effectivement développer une production à Paris. En 1625, un apprenti quitte l’atelier avec le secret de fabrication et créé un atelier dans une ancienne savonnerie à Chaillot. Cet atelier, par la qualité de ses productions, obtient le rang de manufacture royale avec une exclusivité pendant 18 ans.
La concurrence des tissus « exotiques »
La tapisserie est un médium souvent utilisé pour diffuser le goût de la Chine. Par exemple, François Boucher a notamment conçu des cartons pour une « Tenture chinoise ». Cinq exemplaires sont tissés et destinés au roi. L’une de ces tapisseries royales est envoyée à l’empereur de Chine Qianlong en 1766. Il l’apprécie tellement qu’il ordonne la construction d’un pavillon pour l’exposer.
Quand les prémices de la mondialisation …
Grâce aux compagnies de commerce et l’amélioration de la marine, l’Europe devient une grande consommatrice de produits exotiques. Le café, le tabac mais aussi le chocolat sont appréciés et même représentés sur des tableaux. Dans un monde habitué aux textiles épais comme la laine ou le velours, les toiles de coton des Indes s’annoncent comme un vent de fraicheur. Cette nouvelle matière, ainsi que ses motifs, influencent le goût et la production européenne. Effectivement, « l’Orient », qui englobe un large territoire allant de la Chine jusqu’en Perse, trouve un écho favorable auprès des ornemanistes. Ils se plaisent alors à détourner ce thème, en reprenant certains éléments formels. Les compagnies maritimes ont joué un grand rôle dans la diffusion de la porcelaine, des laques et de certains tissus imprimés, comme les siamoises ou les indiennes.
Les chittes, ou indiennes, sont des toiles de coton imprimées très colorées et décorées avec des motifs issus de la flore orientale comme des pivoines ou des magnolias. Ces toiles sont importées depuis le début de la création des grandes compagnies maritimes au début du XVIIème siècle.
… rendent fou.
Cette mode ne se tarit pas au siècle suivant, et elle commence à inquiéter les manufactures lyonnaises spécialisées dans la soie, qui se trouvent fortement concurrencées. Le scandale est tel que Louis XIV fait interdire en 1686 leur importation par un arrêté. Toutefois, cet édit royal ne fonctionne pas. En effet, il en faudra trente-cinq de plus pour que le commerce des indiennes cesse. Tout ce grabuge est entériné lorsque Louis XV finit par autoriser de nouveau ce commerce en 1759. Quelques années auparavant, dans un geste plein d’humour, la Marquise de Pompadour faisait tendre sur son château de Bellevue un ensemble d’indiennes. De fait, le succès de ce tissu est toujours au rendez-vous, à tel point qu’Oberkampf créé la Manufacture de Jouy-en-Josas en 1764. Les ateliers produisent des toiles qui imitent les motifs indiens en « européanisant » ces motifs. La toile de Jouy est toujours aussi populaire de nos jours.
Le tournant de l’industrialisation
Après la Révolution, l’importance accordée aux textiles s’efface. Siècle de troubles politiques, c’est aussi celui qui voit la naissance d’une nouvelle forme de production. L’industrialisation, qui prend racine en Angleterre à la fin du XVIIIème siècle, progresse peu à peu en France. Avec les premiers chemins fer arrive la généralisation des métiers à tisser.
Filer la laine est associé au monde féminin. C’est depuis le XIXème siècle un travail d’appoint exercé par les femmes. En effet, ces petits travaux réalisés à la maison permettent d’ajouter quelques revenus supplémentaires, parfois indispensables, aux maigres ressources du ménage. La fin du XVIIIème siècle chamboule cet ordre bien établi.
La machine à filer
C’est en 1779 que Samuel Crompton met au point une machine à filer hydraulique. Relativement efficace, la Mule Jenny peut en effet réaliser seule tout le travail de plusieurs fileuses. En plus de l’efficacité et du haut rendement, la Mule Jenny permet d’obtenir un fil d’une grande régularité. L’ouvrier en charge de la surveiller peut moduler l’épaisseur du fil à l’aide d’un volant. Cette machine a une répercussion sociale importante, puisque le travail de dix tisserandes est remplacé par une seule Mule Jenny. La mise au chômage de nombreuses de tisserandes et d’entrepreneurs du textile provoquent de larges mouvements sociaux. C’est la raison pour laquelle, en mars 1792, une foule de fileurs en colère fait irruption dans l’usine de Grimshaw à Manchester, et détruisent l’ensemble des Mule Jenny.
©Lewis Hine, Public domain, via Wikimedia Commons
Le métier à tisser
Après l’industrialisation du métier de fileuse, vient celui du métier de tisserande. Edmund Cartwright met au point le métier à tisser semi-automatique en 1787. Il l’améliore et le mécanise par l’ajout d’une machine à vapeur en 1789. Ainsi, la production de coton tissé en Angleterre est multipliée par vingt entre le XVIIIème siècle et la fin du XIXème siècle.
En France, le métier Jacquard, du nom de son inventeur, industrialise le tissage. Ce métier à tisser fonctionne grâce à des cartes perforées qui portent le motif en négatif. Désormais, on se passe aisément d’un artisan pour réaliser des tissus à motifs. La simplicité d’installation de cette machine fait en sorte qu’elle se répand partout dans les soieries lyonnaises. Lyon en retire un grand succès malgré le mécontentement des canuts, ouvriers de la soie, dont les révoltes successives embrasent la ville. Toutefois, le succès est au rendez-vous, ce que confirme l’implantation locale d’entreprises qui fournissent les cartons perforés.
Le textile, vraiment banal ?
Au delà de son esthétique, le tissu est un véritable marqueur des enjeux sociaux qui se jouent autour et à travers lui. Tandis que des pratiques se perdent d’un côté, de nouvelles se développent de l’autre. Le siècle de l’industrialisation n’a pourtant pas raison de certaines pratiques traditionnelles, qui ressurgissent à la faveur d’un souverain ou d’un autre. Alors que les premiers bateaux à vapeur naviguent sur la Seine, certaines tapisseries aux motifs du passé sont encore brodées à la main.
L’industrialisation impacte et transforme la société française, et c’est aujourd’hui le mode de production majoritaire. Toutefois, l’excellence des manufactures est encore d’actualité. La Manufacture d’Aubusson s’associe avec l’une des franchises les plus connues de la fantasy : Le Seigneur des Anneaux. Ainsi, l’oeuvre graphique de J.R.R. Tolkien est mise en valeur par La Tenture Tolkien. Composée de treize tapisseries, elle était exposée aux yeux du public à la BNF à l’occasion de l’exposition “Tolkien, Voyage en Terre du Milieu”.