L’évolution du siège en France, première partie.

Un peu de vocabulaire …

Composition du siège

Le mot ” siège ” vient du latin sedes et de l’italien sedere. Le degré de commodité d’un siège varie en fonction des époques. Cependant, il gagne en confort et en ergonomie au fil des siècles. C’est un terme qui englobe plusieurs catégories de meubles : les chaises, les fauteuils, les tabourets et autres canapés. Il est particulièrement intéressant de s’attarder sur les fauteuils anciens, dont l’évolution stylistique est significative. Avant d’étudier cette évolution, voici quelques clés pour décrire un fauteuil.

Ce meuble capital du mobilier français est composé de différentes parties. Il repose en premier lieu sur un piètement, généralement composé de quatre pieds et parfois renforcé par une entretoise les reliant. Quand à l’assise, sa profondeur est comprise entre 50 et 55 cm et forme avec le dossier un angle d’environ 90°. Viennent ensuite les accotoirs, sur lesquels reposent les bras. C’est ce qui le différencie d’une chaise, qui n’en possède pas. Ils peuvent être ajourés ou pleins, et comporter ou non des manchettes rembourrées, dans le but d’optimiser le confort.

Schéma des différentes parties d'un fauteuil
Les différentes parties d’un fauteuil.

Les métiers de la menuiserie

Au XVIIIe siècle, André-Jacob Roubo définit le métier de menuisier dans son livre L’Art du menuisier. Il en conclut que cet art se divise en cinq grandes catégories. La première renferme la menuiserie de bâtisse et concerne les escaliers, les stalles des chœurs d’églises ainsi que les volets. La seconde catégorie concerne la menuiserie en meubles, dont fait partie l’ébéniste.

La troisième catégorie est celle qui nous concerne dans cet article : la menuiserie du bâtonnier. La spécialité de ce menuisier est la fabrication des fauteuils, des chaises, des tabourets et des lits. Il travaille de concert avec le  tapissier-garnisseur, qui s’occupe de la tapisserie d’ameublement et des couvertures des sièges. Il réalise aussi les garnitures de lit, généralement assorties avec les sièges, les paravents et les écrans de cheminée.

La quatrième partie est la menuiserie des jardins qui comprend l’art du treillage. Enfin, la cinquième partie est la menuiserie théorique qui renferme l’art du trait de charpenterie et l’art du toiseur-vérificateur.

Les meubles de menuiseries sont réalisés en une seule pièce de bois massif, tandis que les meubles d’ébénisterie sont constitués d’un bâti de menuiserie recouvert de feuilles de bois précieux. Cette technique du placage d’ébénisterie a notamment été la spécialité d’André-Charles Boulle.

Les premiers sièges en France

Moyen-Âge (VIIIe – XIVe)

Les assises évoluent peu pendant le Moyen-Âge, qui est une période de création artistique longue, hétéroclite et politiquement peu stable. Les tabourets pliants ainsi que les bancs constituent les assises les plus répandues et les plus populaires, au double sens du terme. Ils sont alors les seuls représentants du siège. C’est la forme du faudesteuil qui donne son nom aux fauteuils du XVIIème siècle. C’est un siège pliant en forme de X qui n’a ni dossier, ni accotoirs. Les montants sont en métal ou en bois, et l’assise est en cuir ou en tissu. C’est l’héritier de la chaise curule antique.

La fin de la Guerre de Cent Ans favorise l’essor d’une nouvelle clientèle, constituée de bourgeois et de notables. La stabilité politique entraine une sédentarisation de la noblesse, qui souhaite s’installer plus confortablement. Les coffres, sièges et buffets sont tous ornés des mêmes motifs issus de l’art gothique.

Renaissance (XIVe – XVIe)

Il faut attendre la Renaissance pour voir apparaître une diversification des sièges ainsi que leur (relative) démocratisation. Sous François Ier, l’Italie est partout. Les motifs italianisants, comme les pilastres et les décors en bas reliefs recouvrent tout. Le siège est droit, cubique avec une assise rectangulaire. Les formes de sièges ne changent pas, mais la bureaucratie naissante en accroit la production. Avec la multiplication des échanges commerciaux, les usuriers, notables, commerçants, doivent prendre note de chaque transaction. L’ergonomie des chaises devient alors un critère de fabrication.

Naissance du fauteuil

Louis XIII (1610-1643)

Fauteuil, Époque Louis XIII, menuiserie tournée en tors et balustre, illustration de Désiré Guilmard, Le Garde-meuble, ancien et moderne, 1843.
Fauteuil, Époque Louis XIII, menuiserie tournée en tors et balustre, illustration de Désiré Guilmard, Le Garde-meuble, ancien et moderne, 1843.

Sous le règne de Louis XIII, le fauteuil est un meuble de prestige réservé au roi et aux hôtes de marque. Il prend deux formes. À dossier bas, il se destine au travail ou au repas. À dossier plus haut et légèrement renversé vers l’arrière, il se destine au repos. Il est plus confortable qu’une chaise car pour la première fois, il est rembourré. La garniture, posée par le tapissier-garnisseur, est couverte de tissus et fixée au moyen de clous.

Le piètement et les entretoises, de n’importe quel type de meuble, sont réalisés selon la technique du bois tourné. Cette technique est caractéristique des productions mobilières sous Louis XIII. Le motif peut prendre la forme d’une hélice (en tors), de cercles (en chapelet), de poires (en balustre) ou de spirales (en salomonique). Les pieds avants sont généralement reliés par une traverse. Les accotoirs sont droits et plats mais s’incurvent à la fin du règne.

Louis XIV (1661-1715)

Durant le règne de Louis XIV, le fauteuil se démocratise et prend de l’importance. Il présente un dossier plus haut et plus incliné vers l’arrière. La structure reste encore raide, cependant l’assise s’élargit et s’approfondit. Le piétement est plus sculpté qu’auparavant. L’entretoise, toujours nécessaire, passe d’une forme en H à une forme en X. Les traverses sont en forme d’accolades ou ” d’os de mouton “. De la même manière, l’accotoir est plus ondulé et dépasse la console, qui se trouve dans le prolongement du pied. L’assise est parfois couverte de tissus précieux comme des brocarts d’or, du velours ou du satin blanc de Chine. Apparaissent les premières formes originales, tel que le fauteuil dit “en oreillette “, qui est l’ancêtre de la bergère. Dans les autre catégories de meubles, la marqueterie connait un grand succès avec les créations réputées d’André-Charles Boulle.

Chaise cannée, en hêtre mouluré et sculpté, pieds en forme d'os de mouton.
Époque fin Louis XIV, début Régence.
En vente sur Antikeo.
Chaise cannée, en hêtre mouluré et sculpté, pieds en forme d’os de mouton.
Époque fin Louis XIV, début Régence.
En vente sur Antikeo.

Le tournant du XVIIIème

L’attention portée à l’ergonomie est de plus en plus importante. Cette notion de confort s’accentue au XVIIIème siècle, qui est un moment décisif dans l’évolution du siège.

Régence (1715-1723)

La période Régence marque un tournant. Les valeurs traditionnelles sont mises à mal et les moeurs se libèrent. Cette légèreté d’esprit se ressent dans la sculpture du bois qui gagne en finesse. Les tissus sont également moins chargés. Le dossier est plus bas et le haut s’arrondit, mais la forme générale reste droite. L’assise est sculptée d’un décor symétrique, souvent séparé par une coquille. Les pieds ondulent légèrement et l’entretoise disparaît progressivement. Les accotoirs sont plus bas, plus espacés et reculent, dans le but de s’adapter à la mode vestimentaire. En effet, les robes à panier sont imposantes, et nécessitent une plus large ouverture de siège.

Louis XV (1723-1774)

Bergère à dossier en cabriolet, en hêtre laqué, mouluré et sculpté. Époque fin Louis XV.
En vente sur Antikeo.
Bergère à dossier en cabriolet, en hêtre laqué, mouluré et sculpté. Époque fin Louis XV.
En vente sur Antikeo.

Le règne de Louis XV marque la quintessence de l’art du confort. Les formes de siège se multiplient. Aux alentours de 1725-1730 sont inventés les sièges à châssis amovibles. Cette innovation permet ainsi de changer les garnitures d’étoffes selon les goûts, les saisons ou les occasions. Apparaissent encore de nouvelles formes de fauteuils Louis XV : les bergères, marquises et autres cabriolets, au détriment des modèles anciens.

Désormais dépassé, le fauteuil ” à la reine ” est imposant et plutôt bas. Son dossier légèrement incliné ne rivalise pas avec le dossier concave du fauteuil ” cabriolet “. Plus léger, il prend place au milieu de la pièce. C’est un meuble ” volant “, que l’on peut déplacer, contrairement à son prédécesseur. Ses courbes sont plus souples et son apparence plus légère. Il laisse plus de place aux robes toujours plus imposantes. Les pieds et les traverses sont finement moulurés et ondulés. Ils sont de surcroît couverts de motifs asymétriques, qui sont les prémices du goût rocaille. Les entretoises ont disparu. Il est assez facile de reconnaitre le style Louis XV.

Le rocaille, ou la Nature en toutes choses

Au XVIIème l’Homme tend à vivre en harmonie parfaite avec la Nature. C’est ce que présente Watteau dans le Pèlerinage à l’île de Cythère. Il illustre les plaisirs amoureux au sein d’une Nature luxuriante et poétique. Du côté des théoriciens, notamment d’Alembert, le début de toutes choses et de la création artistique est l’étude de la nature. La Nature n’est plus seulement domestiquée, à l’instar des jardins à la française, elle est aussi étudiée.

Pèlerinage à l'île de Cythère, Jean-Antoine Watteau, 1717, conservé au Musée du Louvre.
Pèlerinage à l’île de Cythère, Jean-Antoine Watteau, 1717, conservé au Musée du Louvre.

De fait, la Nature s’immisce dans les créations artistiques par l’ajout de motifs de coquilles et de pierres inégales et mal polies. La composition est rustique et imite les rochers naturels. La symétrie n’est plus au goût du jour, les courbes et contrecourbes se répondent jusqu’à la démesure. Les fleurs, les guirlandes et les coquillages envahissent l’espace, jusqu’à provoquer un dégoût chez certains. Les (re)découvertes des sites antiques et les motifs classiques qui y sont associés sont diffusés par le biais des gravures. Si bien que l’ordre, la rigueur et la “sobriété ” classique surpassent les chantournements du rocaille. C’est dans cet esprit que Charles-Nicolas Cochin, graveur français, recommande aux ornemanistes un retour aux formes simples. La production mobilière prend une nouvelle forme.

L’abandon de l’exubérance

Louis XVI (1774-1785)

Bergère à dossier en anse de panier, reposant sur quatre pieds fuselés, cannelés et rudenté. Époque Louis XVI.
En vente sur Antikeo.
Bergère à dossier en anse de panier, reposant sur quatre pieds fuselés, cannelés et rudenté. Époque Louis XVI.
En vente sur Antikeo.

Le règne de Louis XVI est une période de transition. Lassé de l’exubérance, le fauteuil perd alors de sa sinuosité. Deux catégories se détachent. D’un côté, les pieds sont droits et le dossier courbe et concave. De l’autre, le dossier est carré ou en médaillon et les pieds cambrés. Les ornements restent nombreux et finement travaillés. Le répertoire ornemental est constitué de motifs antiques (cannelures et feuilles d’acanthe), d’éléments végétaux (fleurs et feuillages) et autres éléments décoratifs (rubans, cordelettes, perles). Les accotoirs comportent des manchettes et sont courbés. Caractérisant le style, les pieds sont droits, souvent fuselés et cannelés. De nouvelles formes de fauteuils sont à nouveau mis au point durant cette période. Les fauteuils Louis XVI à « dossier de plan droit », à « dossier en médaillon » ou encore à « dossier en montgolfière ».

Directoire (1795-1799)

Si le passage entre l’Ancien Régime et le Directoire se fait dans un brouhaha violent, le passage entre le style Louis XVI et le style Directoire se fait sans heurt ni rupture. À tel point qu’il est parfois difficile de différencier les productions artistiques et mobilières des deux périodes. Charnière entre le classicisme de Louis XVI et la sobriété martiale du meuble Empire, le mobilier Directoire annonce le style Empire. Les motifs issus de la mythologie couvrent le mobilier. Sphinges, mufles, palmettes, lyres, ces motifs font échos aux campagnes d’Égypte de Napoléon en 1798. L’engouement est tel que la France, et l’Europe en général, font preuve d’une véritable ” égyptomanie “. 

Paire de chaises à dossiers évasés enroulés, en hêtre laqué, mouluré et sculpté, reposant sur des pieds  en sabre, style Directoire.
Paire de chaises à dossiers évasés enroulés, en hêtre laqué, mouluré et sculpté, reposant sur des pieds en sabre.
Époque Directoire.
En vente sur Antikeo.

Le mobilier se doit d’être la copie conforme des objets retrouvés lors des fouilles et expéditions. Ainsi dans le cas du fauteuil, les pieds incurvés en ” sabre ” reprennent l’aspect du klismos grec. Les dossiers renversés se divisent en deux catégories. Dans la première, il s’enroule comme un parchemin et est appelé dossier ” à crosse “. Tandis que dans la seconde, il s’évase en trapèze et est donc nommé dossier ” à corne “. Les accotoirs redeviennent plats, soutenus par des consoles se trouvant dans le prolongement des pieds. Ces consoles sont sculptées en balustre ou ornées de sphinges ailées. Le losange est un motif fréquemment utilisé, au niveau du dossier par exemple. Le siège curule, qui a donné naissance aux premiers fauteuils, est remis au goût du jour.

Et les droits d’auteur?

La signature est très importante dans le monde de l’art et dans celui de l’ameublement. Les artistes signent pour affirmer leur statut et contrôler leur production. C’est une étape importante dans la production artistique, si bien que dans le monde du marché de l’art, attester et prouver l’origine d’une pièce en augmente la valeur. Dans le domaine de la menuiserie, l’artisan signe son oeuvre avec une estampille afin de prouver son origine. Cette marque est devenue obligatoire le 5 décembre 1637, à la suite de nombreux procès opposant les tapissiers aux menuisiers. Le parlement de Paris ordonne alors que chaque menuisier appose sa marque personnelle sur chaque ouvrage. Cette obligation est levée en 1790 ; cependant, quelques menuisiers en conservent l’usage.

Les sièges sont des pièces essentielles du garde-meuble. Au cours des siècles, la forme des fauteuils et des chaises évolue, passant d’un confort relatif à une exubérance décorative. Le Musée des Arts Décoratifs possède une galerie présentant l’évolution du siège en France entre 1700 et 1800. Le XIXème siècle marque un tournant dans la conception des assises. En effet, le confort et l’ergonomie priment et transforment ce meuble aujourd’hui commun en un véritable objet de sciences.

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